LE TRAVAIL AVEC LES BEBES
« On est tissu avant d’être issu »
André Ruffiot, 1981
La psychanalyse nous enseigne qu’un bébé tout seul, ça n’existe pas. Que c’est l’enfant qui crée le parent. Sans enfant, point de parent. Le lien est co-construit. Serge Lebovici avait pour coutume de dire que les bébés avaient en eux cette possibilité de venir solliciter en nous l’émerveillement…
Pour que l’être humain soit humain, il est essentiel qu’un Autre lui ai porté secours, ce soit penché sur son berceau, se soit préoccupé de lui. Ainsi l’on est constitué de l’Autre. Sans l’intérêt d’un Autre pour soi, comment survivre ? Comment comprendre le monde fait de significations auxquelles le bébé ne peut avoir accès comme telles. Sans quoi notre propre Désir de vivre s’en trouverait restreint, abimé, enfoui voire inexistant. On le voit, le bébé s’accroche, s’arrime à l’Autre. Et ce qu’il trouve en cet Autre c’est le Désir de cet Autre pour lui-même, bébé. Qu’il s’agisse de son parent ou son substitut, familial ou non. La groupalité est une dimension du psychisme lui-même, Freud le martelait déjà. Chez le bébé le psychisme est à son aube, en construction et il se tisse avec celui d’un Autre.
Avant que l’enfant « paraisse », il y aura eu grossesse et la présence d’un couple au moins unit par le désir inconscient d’avoir un enfant et parfois désirant consciemment cette grossesse et la réalité qui s’ensuit. L’enfant aura été rêvé avant d’advenir. La grossesse est une période de grands bouleversements ; corporels, psychiques, relationnels, intergénérationnels. C’est un temps nécessaire qui sert à cet aménagement psychique permettant de ne pas se sentir englouti par la tâche et confiant (relativement) vis-à-vis de ce qui adviendra. Les générations bougent du fait de l’arrivée de cet enfant et cela commence bien avant la naissance. C’est dire l’importance du travail de la pensée, de la projection. La naissance qui introduit du Réel viendra achever de polariser la psyché maternelle presque entièrement (pré)occupée par cet Autre que soi-même. Et dans une temporalité parallèle, l’enfant va hériter du mandat transgénérationnel conscient et inconscient de chacun de ses parents. En cela il est porteur, déjà, d’une histoire héritée qui n’est pas tout-à-fait la sienne mais qui pourra le devenir dans le décours du temps.
La naissance est la première césure de la vie psychique, naissante elle aussi. Celle-ci réorganise les places de chacun dans la famille. Une lignée générationnelle s’ajoute et perpétue l’histoire. L’enfant que le parent a été et qui est contenu en l’adulte est ainsi reconvoqué, réactivé, avec en parallèle une identification spontanée et plus substantielle aux imagos parentales avec lesquels il a fonctionné et grandit lui-même. L’adulte contient en lui-même une représentation de l’enfant qu’il a été et une représentation des parents qui ont été les siens. Ces identifications sont réactivées par la présence du bébé.
L’arrivée d’un bébé désarçonne. Elle bouscule l’ordre des générations ; la famille s’en trouve augmentée mais perdue souvent dans ce changement qui s’apparente à une traversée où les jeunes parents en devenir ne sont plus seulement « enfant de » mais deviennent « parents de ». C’est tout un réaménagement interne que cela suppose. L’accouchement pour les parents, la naissance pour le bébé représente souvent une césure avec l’avant, et l’acmé de tout ce qui a précédé. Excitation, crainte de cette première rencontre avec cet inconnu si familier ou ce familier-inconnu qui va réclamer/avoir besoin de contenance et de soins. Trouver des repères à la fois dans sa fonction parentale, dans la relation triangulaire nouvelle et appréhender la perception de l’enfant réel et la détacher de celle de l’enfant fantasmé ne sera pas toujours chose évidente. L’accordage et le « dialogue des émotions » pourront avoir besoin de temps afin d’éprouver un peu d’aisance.
Le bébé nous confronte à l’archaïque. Non seulement parce que ce monde auquel il paraît/apparaît est non-signifiant pour lui et qu’il a tout à apprendre mais également parce que son immaturité le met en position de vulnérabilité importante. Il sera dépendant, notamment, de la disponibilité psychique de sa mère, de celle de son père ensuite (ce dernier n’est pas absent mais il est d’abord contenu en la mère) ou de ses objets de substitution, de sa/leurs capacité(s) à pouvoir penser l’enfant, penser à son endroit en lui prêtant une différence : il n’est pas eux. Il leur est ressemblant tout en n’étant pas tout-à-fait pareil.
Les parents deviennent les réceptacles, les contenants de la vie psychique de leur bébé, ils détoxifient littéralement le bébé qui est envahi par les perceptions sensorielles du monde : « Lorsqu’il est bombardé par des données sensorielles d’une expérience émotionnelle qu’il ne peut comprendre, il est contraint d’évacuer cette expérience dans la mère qui doit être capable de la contenir, de la modifier et de la restituer au bébé sous une forme d’ordre ou d’harmonie relativement signifiante, d’où l’angoisse catastrophique a été extraite ou, du moins, diminuée. » (Donald MELTZER et coll.,1980 in Naissance à la vie psychique, Albert Ciccone-Marc Lhopital, Dunod, 2è édition, nov.2010, p.76). Nous le comprenons, avec un bébé il nous faut être malléable, comme un morceau de glaise dont il résulterait, produirait une représentation de la réalité. Maladroite dans les premiers temps, cette dernière s’améliorerait avec les essais et les erreurs agis, recommencés, améliorés, commentés …
Le bébé possède un langage qui lui est propre. L’apprentissage du langage induit d’abord l’idée de le comprendre avant de répéter et parler. Le bébé est comme baigné d’un langage familier de voix, d’intonations (prosodie) qu’il se met à reconnaitre, d’odeurs évocatrices plus que d’autres, d’un type de lien caractérisant ses objets proches.
Aujourd’hui l’on néglige encore beaucoup (les politiques publiques), ce qui englobe, touche le travail de l’anténatal. Les difficultés de conceptions réduites à l’expression unique de difficultés biologiques alors qu’elles draînent aussi des souffrances psychiques (dévalorisation narcissique, angoisse de performance, intrusion médicale dans une sphère de l’intime…) et dont les solutions de PMA échouent, les questions de parentalité, leur accès différent dans un couple homoparental, la question de la loi qui s’en mêle. Les échecs de la PMA ont l’avantage de mettre en évidence et très tôt cette question de la souffrance psychique. Avec un bébé naît une famille réelle dans le sens où celle-ci n’est plus seulement fantasmée. Mais le fait que le bébé n’advienne pas dans le réel n’empêche pas qu’il advienne fantasmatiquement.
Les motifs des consultations sont variés ; troubles du sommeil (endormissement difficile, angoisse de séparation, réveils très fréquents, hypersomnie, terreurs nocturnes, inversion veille/sommeil…), de l’alimentation (allaitement douloureux, refus du sein, hyperphagie…), retard de développement, bébé insécure, pleurs difficiles à apaiser, la prématurité, le tonus corporel trop ou pas assez, la maladie, les opérations précoce, une séparation précoce, des évènements familiaux importants, un accouchement douloureux, long ou difficilement vécu, précipité, une césarienne, l’absence du compagnon, … Un bébé, un enfant qui ne joue pas, n’explore pas son environnement, dont le regard ne s’accroche pas, les enjeux dans la fratrie éventuelle…Les parents peuvent également se sentir démunis, manquer de confiance et de repères, avoir besoin de soutient, éprouver de l’angoisse, craindre le rapproché …
Un bébé tout seul ca n’existe, assène la psychanalyse. L’on comprend mieux l’importance de la thérapie conjointe mère-bébé mais également les thérapies familiales bébé(s)-parents avec l’idée que le bébé est une personne à part entière.
« Il n’y a pas de bébé sans un environnement qui en prend soin »
Donald W.Winnicott, 1971