Psychothérapie & Psychanalyse
« C’est tellement rare, c’est tellement improbable, c’est tellement miraculeux que c’est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu’un qui écoute »
Michel Serres
La souffrance est une chose qui réunit les humains bien qu’elle leur soit singulière. Ils sont en capacité de l’exprimer/se l’exprimer et tentent souvent de relier cet état à des événements ou une causalité qui trouve en eux un écho. Le sens trouvé à cette dernière permet souvent d’arriver à la supporter, d’accepter ce qui arrive. Mais parfois ce sens reste abstrait, et les situations d’exposition à la souffrance réitérée, celle-ci ne passe pas. Le sujet qui souffre est comme amputé d’une certaine liberté qui lui est pourtant nécessaire. La cure par la parole permet de retrouver un sens à son existence, à ce qui arrive et qui est apparu comme « en dehors de tout contrôle ». La rencontre avec un analyste peut alors aider à mettre en sens ce qui se trouvait noué, enkysté, forclos.
Le symptôme est ce qui est souvent mis en avant dans les entretiens préliminaires car il échappe à toute rationalisation ; tout se passe comme si quelque chose se déroulait à l’insu du sujet. Il est récurrent et apparait « sans sens ». Le symptôme est à voir comme un langage utile à être décrypté. Il est la partie visible d’une réalité complexe pour le sujet à laquelle il n’a pas accès. Dès lors qu’il est « parlé » et que l’on accepte l’alliance avec lui, il n’est plus tant un élément à supprimer à contrer, qu’un élément à rencontrer. Le supprimer, le liquider est bien impossible tant que l’accès au sens n’a pas été travaillé. Au mieux il migrerait, s’exprimerait différemment et ne revêtirait alors qu’un costume de fantassin faisant illusion… Pour un temps, ce qui est parfois utile. Freud formulait cet état de fait en évoquant l’idée que l’individu n’est pas maître en sa demeure, que des forces s’exerceraient en lui au mépris de toute conscience et contre sa volonté. C’est pour découvrir ce langage, le sens profond que ce message recèle pour l’individu qu’une psychothérapie ou une analyse s’engagera. Il sera alors question de la création d’un espace intime fait d’intime.
Un malaise, un inconfort durable, une tristesse qui s’éternise ou sans apparente explication, une forme de dévitalisation générale, une inhibition, un repli sur soi, un désinvestissement de la sphère sociale, des préoccupations compulsives, des symptômes somatiques sans explications médicales ou qui résistent à tout traitement, une excitation incontrôlable, un deuil douloureux et envahissant… Les raisons de consulter sont diversifiées mais la plainte générale concerne un sentiment d’être entravé dans sa liberté et son désir. Le symptôme est précieux car il est le seul élément visible de la scène qui se joue en interne ; on dit qu’il est une formation de compromis. A savoir qu’il est une sorte d’excroissance ; un lien précis pour plonger dans les abysses de l’âme. La ligne de vie de celui qui escalade et à laquelle il peut s’arrimer…Le patient consulte pour ce qu’il a le sentiment de perdre de lui. Quelque chose lui échappe et va mobiliser en lui le désir de savoir, de connaître et comprendre ce qui se passe en lui à son insu. L’objectif pour le patient sera non pas de dépasser sa souffrance mais de passer au travers, de l’éprouver pour la comprendre afin de la résoudre. Il ne s’agit pas tout-à-fait de revivre la souffrance trait pour trait mais de la ramener à la vie et mieux faire avec.
La parole sera l’outil de notre travail avec comme cadre les associations libres. L’écoute de l’analyste sera le premier soin. Le psychologue entend l’inaudible et restitue avec l’accord tacite du patient ce qui lui revient. Ces vécus singuliers, les affects qui y sont liés et le sens afférent sont souvent éloignés de toute logique rationnelle. Le patient découvre au décours de son travail d’élaboration, le Désir qui le caractérise. Un travail thérapeutique est mutatif dans ses effets ; il peut être cathartique à certains moments, plus posé à d’autres. L’un ne va pas sans l’autre. Le temps psychique du patient est respecté. Les changements engagés le sont souvent en profondeur et en ce sens sont donc pérennes.
En psychothérapie, en analyse, l’on apprend à parler de soi, à dénouer ce qui entrave afin de cheminer vers sa propre vérité. C’est la vérité du Désir qui sera le fer de lance d’un travail d’abord mené à deux pour se poursuivre seul. L’analyse est une traversée, peut-être même une épopée à dimension humaine ; chacun ayant sa propre mythologie. En effet, le patient arrivant et celui sortant ne sont pas identiques ; allègement du symptôme, un sentiment de liberté retrouvée, une joie à vivre sa vie et assumer ses choix, de façon durable et profonde.
Le temps d’une psychothérapie, d’une analyse est scandé. Il y a un début et une fin. Se séparer est également l’objet d’un travail, d’une mise en mots. Certaines/certains prolongent le travail au-delà de la résolution de la demande initiale, trouvant un plaisir particulier à penser, à s’élucider. Ils entrent alors en analyse.
L’analyste est le garant du cadre qui permettra le déploiement sécure du travail. Un psychanalyste est déjà un « cadre » à lui seul. Il est passé par là, il a fait l’épreuve de la traversée, s’est allongé et peut se mettre à la place de ses patients. Il est également assuré dans sa pratique par une supervision/contrôle auprès d’un autre psychanalyste qui lui permet de penser là où cela peut être complexe pour lui. La traversée de l’analyste, sa propre analyse résulte toujours d’un Désir qui lui est propre ; aucune Faculté n’ordonne de faire une analyse. Cependant, recevoir des patients sans avoir fait d’analyse ne pourra qu’induire des biais qui limiteront le travail ou l’invalideront. Sans pour autant dévoiler ce qui a fait l’objet de son travail, l’analyste répondra à cette question qui peut être essentielle pour certains. Sans analyse personnelle le psychanalyste ne pourra offrir le cadre d’une psychanalyse à ses patients. Pour le dire autrement ; il n’existe pas d’analyse sans analyste analysé.
Certaines règles intangibles du cadre analytique sont essentielles :
- La règle du tout dire, tout ce qui vient.
- Le règlement des séances manquées, quel qu’en soit le motif.
- Se voir dans un cadre précis, à jour et heure convenue avec une régularité convenue
Ces conditions réunies concourent à garantir la sécurité du travail engagé. Cet engagement est tripartite ; le patient, l’analyste et celle/celui à qui s’adresse réellement la demande. Là est la traversée. L’analyste est comme amené à jouer un rôle, celui du désir inconscient de patient. Ce qui explique que des problématiques identiques trouvent un sens et une voie de résolution différentes. Littéralement le psychanalyste porte la parole du patient ; il la porte en lui et est amené à la verbaliser, à la restituer à son propriétaire jusque là « ignorant » ; le patient est amené à entendre ce à quoi il était sourd pour s’entendre, se réconcilier avec une vérité qui devait être tue/tuée. En ce sens, le patient manipule le psychanalyste qui est là pour cela ; c’est un passeur dans un espace de tridimensionnalité. Le patient devient auteur de sa vie, ne la subit plus, se réconcilie avec lui-même. D’une certaine façon, la psychothérapie est un préalable à l’analyse.
La fin d’une psychothérapie, d’une analyse est un temps clé. Si l’on se concentre uniquement sur la suppression du symptôme (qui est souvent souhaitée bien sûr) pour décider la fin d’un travail, il y a de fortes chances que le symptôme se déplace. Il s’incarne différemment car il n’est pas « liquidé ». Le travail doit chercher à mettre à jour ce qui agit de façon répétitive, le sens profond qui y est lié pour que la souffrance prenne sens et induise un changement notable dans la vie psychique. La fin d’un travail sera abordée en séance ; l’on prépare une séparation, on ne l’acte pas en évitant son élaboration. Se séparer peut-être une forme de deuil, tout en comportant des aspects de réjouissance. Se réjouir de se sentir restitué à soi-même, avec une faculté nouvelle ; celle d’arriver à penser là où l’inconscient nous joue des tours.
« Le traitement psychanalytique ne supporte pas d’auditeur »
S.Freud, Introduction à la psychanalyse, 1916